Depuis la mise en ligne de la plateforme numérique #RacismeOrdinaire le 6 février 2013, France Télévisions a reçu plus de 600 témoignages. Des femmes et des hommes, de tous âges et horizons, racontent ces mots qui font mal, ces humiliations quotidiennes, ces gestes ou plaisanteries en apparence banals qui deviennent insupportables. Au-delà de la singularité de ces récits, à leur lecture, au fil des jours, nous avons constaté de multiples récurrences. La mise en lumière de ces points de convergences dessine une radiographie du racisme ordinaire en France. À l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale (21 mars), la publication de certains extraits, bruts et anonymes, rappelle l'urgence et la nécessité de ce combat.
L'assignation à un ailleurs
"Quand je révèle mon lieu de naissance, on me répond par un déni 'non, mais avant?' Avant quoi ? Et me voilà embarquée dans un interrogatoire policier sur mon arbre généalogique. On peut être française ET de couleur."
"On m'offre gentiment une boite de thé. 'Tiens, c'est du Thé des Sables. Ça te rappellera ton désert natal' (nb : je suis née dans le Loir-et-Cher)"
"Hier midi, un collègue me demande dans le but non dissimulé d'animer la galerie au moment de notre déjeuner collectif: 'et tu n'y as jamais pensé, toi, à retourner chez toi?... sur ta Terre Sainte."
Le mépris et une supposée incompétence
"Jeune externe en dernière année de médecine à l'hôpital Tenon, d'origine maghrébine, je prenais ma pause-café. J'avais oublié d'agrafer mon badge orange sur lequel était inscrit mon nom et mon statut mais le stéthoscope était en évidence dans la poche droite de ma blouse. Une cadre infirmière m'interpelle et me tend le balai: 'Il ne faut pas oublier de nettoyer la salle n°2.'"
"J'enseigne le français et la culture générale auprès de post-BAC. Lors d'un conseil de classe, une élève, devant mes collègues et ma directrice : 'Je ne comprends pas comment je peux faire confiance à une structure qui emploie une chinoise pour m'enseigner ma langue et ma culture.' En 2014, être Français c'est forcément être de type occidental ?!"
"Être employée dans une grande compagnie aérienne et entendre un responsable me dire gentiment suite à une petite erreur :"Tu n'es pas noire pour rien "... Avec un grand sourire !"
"Une femme rom travaillant dans une université en France ne peut être qu'agent d'entretien polyvalent... Professeur chercheur dans une université française, je suis également (et d'abord) d'ethnie romani (rom kali)."
Le rejet et la méfiance
"Etudiante, je cherchais un logement près de la fac. Un jour je tombe sur une annonce intéressante. J'appelle l'agence, laisse mon nom... à consonance française. La dame, charmante, me donne rendez-vous. Quand elle me voit, elle me soutient que nous n'avons pas rendez-vous, que nous ne nous sommes jamais parlé. Devant mon insistance, elle consent à me faire visiter l'appartement. Je lui dis qu'il m'intéresse. Elle me demande mes références. Je lui tends mon dossier. Quand elle voit la profession de mon père : administrateur de société, elle éclate d'un rire incrédule et méprisant. Je me suis sentie profondément humiliée."
"À la laverie en bas de chez moi. On est 4 mecs. 3 flics entrent. - Bonjour, contrôle des papiers. Les 3 autres s'exécutent, chaque flic en ont "choisi" un. Ils vérifient les documents. Aucun problème. Les flics s'apprêtent à partir. - Et moi vous ne regardez pas mes papiers ? - Bah non vous, on sait que vous êtes en règle. Au revoir. Inutile de préciser que j'étais le seul blanc."
"A la piscine, un maître-nageur à mon fils, 8 ans, qui l'avait aspergé involontairement et qui s'en excusait : 'T'es pas un arabe pour rien, toi'."
"Le mois dernier, mon conjoint va laver notre voiture, un lundi pendant ses congés. Il est originaire du Kosovo et a gardé un accent. Un homme qui lave également sa voiture lui demande un renseignement, mon conjoint lui répond gentiment. Puis, avant de partir, l'homme en regardant notre voiture (berline allemande) rétorque à mon conjoint: 'Ça paye bien le pôle emploi !'. Sous prétexte qu'il a un accent étranger il est forcément chômeur, dealeur, voleur. Nous travaillons tous les deux 39h par semaine."
L'ignorance, la bêtise ordinaire et l'essentialisation
"Nous étions au buffet d'une conférence lorsqu'une personne dans le groupe où j'étais m'interpelle pour me dire "Ah vous êtes sénégalais ? Je reviens tout juste d'Abidjan, très belle ville!". Le moment de silence après lui avoir répondu 'Et vous, vous êtes français n'est-ce pas ? Et bien je reviens tout juste d'Amsterdam, une très belle ville également !'"
"D'habitude les gens me demandent mes origines en précisant que j'ai un léger accent charmant. Presque chaque fois que je réponds 'je suis roumaine' je vois leur sourire se transformer en une sorte de déception indignée."
"Une ancienne collègue, un matin, me dit : "Ma chérie, tu es magnifique! Tu es belle, tu as les traits fins pour une noire, c'est pas comme les AUTRES!"
"On était à une soirée avec des amis et un (ex) pote me dit : Tu sais j'aime pas les arabes mais toi je t'aime bien !"
Tribune publiée dans le Huffington Post : http://www.huffingtonpost.fr/virginie-sassoon/remarques-racistes_b_5007032.html
Crédit photo: Millerand