L'humour est une arme à double tranchant. D’un côté, il est redoutablement efficace pour lutter contre les préjugés et les idées reçues. De l’autre, il peut servir à ridiculiser, humilier et exclure. Comment interpréter les montages photos et caricatures de la ministre de la justice Christiane Taubira qui ont récemment circulé sur Internet?
En France, à partir des années 1850, le racisme scientifique se développe. Le polygénisme (l’idée qu’il existe des espèces humaines différentes) s’impose dans les cercles scientifiques. Ces travaux sont fondés sur une définition et une hiérarchisation des "races" humaines qui place les Noirs "tout en bas de l’échelle humaine, dans un cousinage avec les espèces animales". En 1853, Gobineau définit les critères de beauté dans son "Essai sur l’inégalité des races humaines", le blanc étant au sommet de la hiérarchie.
Dans L'Histoire naturelle du genre humain, Julien-Joseph Virey présente trois têtes superposées, l'ordre ascendant distillant l'idée d'une hiérarchie fondée scientifiquement : celles d'un orang outan (en bas), d'un Africain Ibo (au milieu) et d'une statue antique de Zeus (en haut). La craniologie, l'un des fondements de l'anthropologie physique pendant près d'un siècle, établit la proximité des Africains et des singes.
Au XIXème, des exhibitions de « sauvages » (des femmes, des enfants, des hommes issues des colonies) étaient organisées, et ont touché des millions de spectateurs. En 1931, l’exposition universelle proposait de visiter un « zoo humain » au jardin d’acclimatation à Paris. Des individus « exotiques » mêlés à des bêtes sauvages étaient mis en scène derrière des grilles ou des enclos.
Si l’on sait aujourd’hui que le concept de race n’a pas de légitimité biologique, ces représentations ont eu pour effet de déshumaniser durablement certains groupes humains et sont à l’origine de nombreux stéréotypes actuels. A l’image de ce montage photo diffusé sur Internet comparant la ministre Christiane Taubira à un singe.
L’affiche de la boisson chocolatée Ya bon Banania présente un soldat africain rieur. Rappelons qu’à la fin des années trente, Léopold Sédar Senghor, cofondateur du mouvement de la négritude proclamait : "Je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France ». Pourtant, aujourd’hui des affiches de l'authentique tirailleur Banania sont encore vendues dans le commerce.
L’historien Pap Ndiaye montre que le racisme anti-noir puise dans deux répertoires : celui du "brave tirailleur" (enfantin) et celui du "sauvage" (dangereux), dans des combinaisons variables selon les circonstances. Parmi ces figures, celle du tirailleur, à forte connotation paternaliste, est la plus usitée.
Cette caricature de Christiane Taubira a largement circulé sur les réseaux sociaux en 2013.
Cette caricature mixe les deux registres principaux du racisme anti-noir : le sauvage dangereux et le brave tirailleur de l’affiche Ya bon Banania. Elle atteste de l’influence encore prégnante de l’imagerie coloniale dans les représentations collectives.