Boubacar Seck est architecte et co-président du Conseil de développement durable de la communauté urbaine de Bordeaux (C2C). Il est également auteur et impliqué dans la lutte contre les discriminations. Il livre son regard sur la France d'aujourd'hui et témoigne de son expérience personnelle du racisme.
La France a changé dans le bon sens sur la question du racisme. Le nombre de mariages mixtes a fortement augmenté. Il y a des élites politiques et médiatiques de plus en plus nombreuses dont les parents sont des immigrés de fraîche date. Les rangs du Palais Bourbon et celui du Luxembourg commencent à se diversifier. Le compte positif de l'apport de l'immigration ne fait désormais débat que chez ceux qui font du déni de "sale gueule". Les enfants de la deuxième ou troisième génération accèdent de plus en plus par les études à des emplois plus valorisants que leurs parents. Les réactions presque unanimes lorsque des propos racistes sont tenus en public mettent du baume au cœur de ceux qui en sont victimes et aussi de ceux qui en sont outrés. Les exemples de bonnes nouvelles sont nombreux.
Alors tout va bien Madame la Marquise? Bien sûr que non.
Le racisme est comme le tonneau des Danaïdes. Il est intarissable. En France, il devient paradoxalement "décomplexé". Les discriminations au faciès persistent. L'accès au logement et au travail est toujours plus ou moins difficile selon sa couleur de peau, son patronyme ou le territoire où l'on vit. Certes il n'y a plus de ratonnades mais l'inconscient collectif reste imbibé du sentiment que "certains" seront toujours assignés à leur supposée identité. Le racisme n'est pas revenu parce qu'il n'est jamais parti.
Des anecdotes de ce racisme ordinaire, nous en avons tous des centaines à raconter. Celle qui m'a le plus marqué, c'est cette histoire qui m'est arrivé à l'école d'architecture. J'ai été élu pendant 4 ans Président du Bureau des Élèves. À ce titre, j'avais proposé à mes camarades d'offrir un meilleur accueil du public (amis, conjoints, tuteur, parents...) lors des soutenances de diplômes. En effet notre école était grande et la signalétique pas très efficace. Je me suis planté au milieu du hall avec le planning des soutenances et les salles. C'est là que j'aperçois un couple de sexagénaires un peu perdus. Je m'avance vers eux et leur demande:
-C'est pour la soutenance de Cendrine* ?
-Oui. Me répond la dame, c'est notre fille.
-Prenez cet escalier, c'est au premier étage à droite lui dis-je. Elle se retourne vers celui qui s'avère être son mari puis dit :
-Chéri, c'est bon, il y a le concierge qui nous montre le chemin.
Je n'ai rien dit. Mes amis étaient éberlués. Ils voulaient que je le dise à Cendrine*. Cendrine* était et est toujours une de mes meilleurs amies. Et je ne lui jamais parlé de cette anecdote. Car il ne s'agit pas d'elle. Mais des mentalités qu'il nous faut changer. De cet inconscient-là, qui fait qu'un noir dans une école d'architecture ne peut être que le concierge. C'est pourquoi il faut, bien sûr, des lois plus fortes et coercitives. Comme disait Martin Luther King: "Une loi ne pourra jamais obliger un homme à m'aimer mais il est important qu'elle lui interdise de me lyncher." Oui il faut d'abord les appliquer sans transiger sur les valeurs et les principes. Puis il faut surtout travailler les consciences et l'inconscient collectif pour faire admettre un supplément au roman national.
*Le prénom a été changé
Biographie
Boubacar Seck est architecte, Co-Président du C2D (Conseil de développement Durable de la Communauté Urbaine de Bordeaux). Il a contribué significativement à la féminisation, au rajeunissement et à la diversification de l'instance et s'est engagé dans l'un des premiers groupes de travail fondateur du C2D : la charte de la participation. Il a été également le rapporteur du groupe de travail « Discriminations » qui a débouché sur un manifeste discuté par Rokhaya Diallo et Eric Fassin. Il était jusqu'à la fin 2013 chargé de la communication de l'Ordre des Architectes d'Aquitaine dont il assure la rédaction en chef de la revue (le 308). Il est également investi dans des mouvements associatifs comme SOS Racisme Gironde, Flim (Cinéma et Urbanisme). Il est l’auteur du roman L’amère Patrie (Editions Baudelaire, 2008)