Caterina témoigne

J'ai eu la chance de vivre ma scolarité à une époque où les réseaux sociaux n'existaient pas encore, au début
des années '80. Pourtant, j'ai été, moi aussi, victime de harcèlement scolaire, pendant cinq ans. J'ai eu des années très heureuses jusqu'en CM2, dans l'école de mon village. J'avais plein d'amis et d'amies. Mais une fois au collège, dans un autre village, cela a changé du tout au tout. Cela a commencé par des moqueries, sur mes oreilles décollées, sur mon habillement, de la part d'une bande de filles bon chic bon genre, plus 'à la mode', mais surtout sur ma timidité. Quand je répondais à une question du professeur, elles imitaient ma petite voix,
puis elles riaient. Certains professeurs en rajoutaient (inconscients ou stupides ?) et riaient avec elles !!!
Si bien que je participais de moins en moins en classe, avec des retombées sur mes notes, dans mes
bulletins. Puis ça a été les vols dans mon cartable, pendant que j'étais au cours de gym. Elles volaient mes
chaussures et les jetaient sur le toit du réfectoire, collaient du chewing-gum dans mes vêtements, y versaient
une bouteille entière de parfum écoeurant, y dissimulaient une serviette hygiénique imbibée d'encre rouge.
Elles m'ont un jour volé un stylo que ma maman m'avait offert pour mon anniversaire, puis, pendant le cours
suivant, elles me le montraient, narguantes , en soufflant : "Pleure, allez, pleure !" Une autre demandait : "Alors,
est-ce qu'elle pleure ?" - "Non, mais presque, ça brille." Je n'oublierais jamais ces mots.
Quand, la rage au ventre, j'ai osé me révolter, criant : "C'est mon stylo !", c'est moi que le professeur à envoyée
chez la préfète ! Ma harceleuse a nié, bien sûr, et gardé le stylo.
On m'a envoyée au centre Psycho-Médico Social, où une "assistante sociale" a commencé à me montrer des
taches d'encre, me demandant ce que je voyais ! Je me suis sentie prise pour une malade mentale.
Je n'y ai plus jamais remis les pieds. Ce n'était pas moi qui avais un problème de comportement, c'étaient elles.
Puis ça a été les coups dans les couloirs, les croches-pied dans les escaliers. Je n'ai plus retrouvé mon sac
avec mes affaires de gym dans mon casier, ni ma farde d'anglais, le seul cours que j'aimais, où j'étais un peu
plus tranquille, avec de bons professeurs.
Je vivais seule avec ma maman, mes parents ayant divorcé quand j'avais trois ans. Elle travaillait en ville et
devait faire un long trajet à pied, par tous les temps, pour attraper son bus, à 6 heures du matin.
Alors elle n'avait pas le temps d'écouter mes prétextes (j'ai mal au ventre, à la tête,...) pour ne pas aller à l'école.
Elle insistait pour que j'y aille. Je pleurais, n'osant pas lui dire la vérité. Elle partait travailler furieuse et inquiète.
A cette époque-là, quand on disait à un adulte :"On m'embête à l'école" , on vous répondait :"Tu n'es plus un
bébé, défends toi !" ou "Tu dois aller à l'école, c'est obligatoire, sinon tu auras des ennuis avec la police".
Alors, j'avais honte. Honte de faire vivre un calvaire à ma maman, qui avait déjà assez de soucis comme ça.
J'allais à l'école comme on va à l' abattoir. Tous les jours, tout le long du trajet, dans le bus, je priais pour qu'on
me laisse un peu tranquille, au moins quelques heures.
J'ai pensé au suicide. J'avais 15 ans.
Après avoir doublé ma 4ème, à cause de mes nombreuses absences, et me retrouvant à nouveau avec "elles",
j'ai abandonné. Moi qui apprenais bien, qui rêvais de faire de grandes études de littérature, d'histoire de l'art,
à 18 ans je me suis retrouvée au Centre Public d'Aide Sociale, comme les losers.
Et aujourd'hui, alors que j'ai passé la quarantaine, je galère toujours pour trouver du travail, parce que je n'ai
pas de diplôme, pas le Bac. J'ai toujours cette peur de ne pas être acceptée dans un groupe, quoi que je fasse.
J'essaye d'oublier, mais dès que je m'inscris à un cours ou à une formation, je suis obligée de parler de mes
études. J'ai honte tous les jours. Honte de ne pas avoir su être méchante moi aussi, en retour.
Mais alors, faut-il être méchant, cruel, dès l'enfance, pour survivre dans ce monde ? Devenir comme eux ?
Je ne le pense pas. Il faut apprendre aux enfants, dès la maternelle, l'entre-aide, la compassion et le respect
de l'autre. La gentillesse n'est pas une faiblesse, c'est un sentiment noble et courageux.
J'essaye de ne jamais dire quelque chose de blessant à quelqu'un. Je sais trop ce que ça fait.
Mais je ne me laisse plus marcher sur les pieds. On change en grandissant, vous verrez. Même si j'y pense
encore, ça ne m'a pas empêcher de vivre de belles choses, une fois adulte, de voyager, de rencontrer plein de
gens super. Même des célébrités. Et c'est toujours ma gentillesse qu'ils ont apprécié en premier. Cela m'a
ouvert bien des portes. Alors que, si vos harceleurs continuent dans cette voie, ils verront toutes les portes
se refermer devant leur nez. Et quand ils n'auront plus leur petite "meute" autour d'eux pour leur venir en aide,
ils se retrouveront seuls, face à eux-mêmes.
Je sais que mon expérience n'est pas comparable à ce que subissent les jeunes aujourd'hui, dans ce monde
hyper-connecté, où tout vous saute à la figure en un clic, et où les harceleurs sont encore plus lâches, sous
couvert de l'anonymat. Je sais que l'adolescence est une période difficile à vivre, où l'on se cherche, où l'on
construit sa personnalité, où l'on n'a pas confiance en soi, et que, quand on vous répète sans arrêt que vous
êtes nul, que vous ne valez rien, on finit par le croire. Qu'ils ou elles doivent avoir raison.
Mais c'est FAUX, archi-FAUX. Ne croyez pas ces imbéciles sans cervelle. Vous avez de la valeur !
Alors les jeunes, n'ayez pas honte si vous êtes harcelés. Ce sont vos harceleurs qui devraient avoir honte,
et pas qu'un peu. Ne vous laissez pas détruire par des gens qui n'en valent vraiment pas la peine.
Je sais que c'est dur, que ça reste comme une boule dans la gorge, mais parlez-en à quelqu'un, très vite,
pour que ça cesse ! Ce n'est plus un sujet tabou comme à mon époque. Maintenant, on est près à vous
écouter. En plus, depuis 2008, c'est un délit puni par la loi ! Ne pensez pas que vous ferez de la peine à vos
parents en leur parlant. Au contraire. Vous leur ferez encore plus de peine en ne parlant pas, en souffrant en
silence. Ce n'est pas, mais pas du tout ce qu'ils veulent. Ils sont là pour vous en premier.
Mais si vous préférez, parlez-en à un professeur que vous appréciez, ou à un ami en qui vous avez confiance.
Il y a TOUJOURS une solution, mais il vous faut quelqu'un pour vous aider à la trouver.
(Ou si vous avez un copain , une copine qui se fait harceler et qui n'ose pas en parler, faites le pour lui ou elle.
N'hésitez pas). Mais parlez-en. Pour vous-même, pour Marion, pour Louise, pour Jonathan, pour Manon,...
pour toutes les victimes de ce fléau.
Je sais que c'est long, que ça parait interminable, les années d'école, surtout quand on y est malheureux.
Mais le temps passe. Vous avez tant de belles choses à vivre encore, après.
Courage ! Je suis de tout coeur avec vous . Caterina