Dossier

Homosexualité et famille : une association heureuse

Stéphanie et Stéphanie souhaitaient toutes deux être enceintes. « Maman Ninie » a d’abord porté Camille, puis « Maman Steph » a porté Thomas, et chacune a adopté l’enfant de l’autre l’été dernier. En couple depuis huit ans, mariées depuis l’été 2013, elles avaient mûrement réfléchi leur projet de maternité : pas question pour elles de priver leurs enfants de leurs origines, de prétendre qu’ils n’avaient pas de père. Elles ont donc eu recours à la procréation médicalement assistée (PMA) avec donneur semi-connu, le même pour leurs deux enfants, ce qui donne accès à un dossier assez riche sur le géniteur (photo de lui bébé, dossier médical, description de ses goûts, lettre adressée aux enfants…) et surtout la possibilité pour les enfants de le contacter s’ils le souhaitent lorsqu’ils auront 16 ans. La petite famille nous a ouvert grand ses portes.

 

 

Chercheurs et médecins se sont penchés sur les conséquences de l’homoparentalité sur le développement des enfants. Les résultats sont positifs, mais les échantillons étudiés trop faibles pour être représentatifs.

C’est pour l’intérêt supérieur de l’enfant. Ni homophobes ni réacs, les opposants à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe manifestent pour défendre la famille et ses membres les plus fragiles, assurent-ils. En face, les familles homoparentales revendiquent leur capacité à élever des enfants équilibrés, aussi bien que quiconque. Qu’en est-il réellement ? « Une cinquantaine d’études sont parues depuis les années 70 et elles ne permettent pas de mettre en avant des différences fondamentales entre les enfants de familles hétérosexuelles et ceux de familles homosexuelles », résume Olivier Vecho, maître de conférence en psychologie du développement à l’université Paris Ouest – Nanterre La Défense, qui planche sur le sujet depuis 1999.

Aux Etats-Unis, l’American Academy of Pediatrics soutient clairement l’homoparentalité (article en anglais) : « de nombreuses études ont démontré que le bien-être des enfants dépendait bien plus de leurs relations avec leurs parents, de l’envie de ces derniers de bien faire, de leur capacité à les sécuriser et du soutien social et économique apporté à la famille, que du genre ou de l’orientation sexuelle de leurs parents », écrit l’académie. En témoigne notamment la National Longitudinal Study of Adolescent Health (en anglais) parue en 2007, qui concluait que les enfants élevés par des mères homosexuelles n’étaient pas davantage touchés par la dépression ou l’anxiété que ceux élevés par des mères hétérosexuelles.

Ou les travaux de Susan Golombok, directrice du Centre de recherche familiale de l’Université de Cambridge, qui montrent, entre autres, que les enfants adoptés par des couples homosexuels se portent aussi bien (en anglais) que ceux adoptés par des couples hétérosexuels. En France, le pédopsychiatre Stéphane Nadaud a mené une étude en 2000 indiquant, elle aussi, que les enfants ayant des parents homosexuels étaient aussi équilibrés que les autres. « Ils ont un peu plus de difficultés dans les interactions sociales, mais cela s’explique par l’homophobie qu’ils subissent », explique Olivier Vecho. Globalement, il ressort des différentes études menées dans le monde que la stabilité de la famille compte plus que le sexe des parents : une famille hétérosexuelle qui se déchire causera plus de tort à l’enfant qu’une famille homosexuelle qui s’aime, et inversement.

 

A l’inverse, l’étude de Mark Regnerus a mis en lumière un plus fort taux de chômage, une moins bonne santé ou encore davantage de problèmes avec la justice chez les enfants d’homosexuels. Des résultats décriés, puisque ce sociologue de l’université du Texas a comparé des personnes dont les parents, hétérosexuels, étaient toujours en couple – donc évoluant dans une structure familiale stable –, à des individus dont au moins un des parents avait eu, au moins une fois dans sa vie, une relation avec une personne du même sexe – sans que l’on sache si ces familles étaient stables ou non, et sans que cela suffise à qualifier quelqu’un d’homosexuel.

Problème de toutes ces études : elles portent sur de tout petits groupes d’individus. Difficile, donc, de prétendre à la représentativité. « L’échantillon est difficile à composer, on peine à faire accepter aux familles de participer », regrette Olivier Vecho, qui mène actuellement une étude auprès des familles ayant eu recours à la procréation médicalement assistée (PMA) et cherche activement des participants.

Ces études sont également accusées de ne recruter qu’auprès de parents militants, qui ont tout intérêt à faire en sorte que leurs enfants aient l’air d’aller bien. « L’essentiel de nos échantillons ne vient pas d’associations, se défend Olivier Vecho. Et puis, dans les associations, il y a peut-être 10% de militants, les autres viennent pour échanger, avoir des conseils. »

Finalement, selon Olivier Vecho, « ce qui peut poser problème aux familles homoparentales, c’est le cadre juridique légal », autrement dit les problèmes de reconnaissance des enfants nés par PMA à l’étranger ou par gestation pour autrui. « L’autre difficulté, c’est le climat, ajoute-t-il, en référence aux nombreuses manifestations hostiles à l’homoparentalité. On a oublié que les enfants entendaient tout ce qui se disait. »

 

Pierre Lévy-Soussan : « Ça met l’enfant dans un abîme de confusion »

« Naître de deux hommes ou de deux femmes est impossible, du coup l’acte de naissance devient un faux symbolique. Un livret de famille venant de deux personnes de même sexe, c’est un non-sens psychologique. Quand l’enfant pense à son origine, cela le met dans un abîme de confusion.

L’enfant adopté a besoin d’imaginer une renaissance dans un couple à partir duquel il aurait pu naître, un homme et une femme dont il aurait pu venir. C’est une fiction nécessaire pour ses origines. Dans le cas d’un couple de même sexe, l’élimination juridique de toute origine vraisemblable, sans homme ou sans femme, est d’une grande violence symbolique.

D’autres problèmes, liés à l'éducation, vont se poser. L’enfant a besoin de différences identificatoires pour se construire. Il différencie bien les interactions avec la mère et avec le père, or là il n’a qu’un modèle d'identification. Une femme n’est pas un père et un homme ne sera jamais une mère. »

 

Stéphane Clerget : « Ces enfants grandissent comme les autres »

« Depuis 1991, j’ai reçu plus d’une centaine d’enfants ayant au moins un parent homosexuel, et j’ai vu que cette situation ne leur était pas préjudiciable. Ils viennent consulter pour des problèmes que l’on peut retrouver dans les familles où les parents sont hétérosexuels, tel un divorce ou la question des origines quand un des parents n’est pas connu. C’est pour ça que je ne soutiens pas le projet de donneur inconnu, mais ce n’est pas propre aux homosexuels. Ces enfants grandissent comme les autres, c’est le regard extérieur qui pose problème. Ils sont sensibles à l’homophobie, ils la perçoivent très vite.

Dans la situation la plus fréquente d’homoparentalité, un couple hétérosexuel se sépare et l’un se met en couple avec une personne de même sexe. Donc il y a une asymétrie, car l’enfant a un père et une mère. Mais un enfant est de toute façon rarement confronté à une seule personne et il ne prend pas modèle que sur ses parents, il y a aussi les grands-parents, la maîtresse, la nounou…

Pour autant, être homosexuel ne veut pas dire être compétent en tant que parent. Ils ne sont pas meilleurs que les autres. »

 

Après avoir violemment réagi à l’annonce de l’homosexualité de son fils, Anna Ghione a fini par s’engager auprès d’associations LGBT.

« Sonnée, abasourdie, dévastée ». L’évidence est là, sous les yeux d’Anna Ghione : son fils est homosexuel, en couple avec ce garçon venu passer quelques jours dans la maison familiale. « Qu’ai-je fait de mal ? », s’interroge alors cette femme qui se croyait ouverte et tolérante. Voir Alexandre, 17 ans, minauder devant un autre garçon, le manger des yeux, provoque en elle « un sentiment de haine, de colère noire » envers ce trouble-fête. Sans autre forme de procès, elle le renvoie chez lui et met un terme à l’idylle de son fils.

Son histoire, elle l’a racontée dans le livre Moi, homophobe !, paru en novembre 2013. Depuis, elle parcourt la France à la rencontre de parents et de jeunes homosexuels qui traversent ce qu’elle a traversé. Car Anna Ghione a changé du tout au tout. Il lui aura fallu pas loin de dix ans, mais elle a totalement accepté l’homosexualité de son fils, qu’elle avait pourtant cherché à « sauver » par la psychothérapie. Finalement, après une thérapie sur elle-même et un accident qui aurait pu lui coûter la vie, elle a réussi à renouer avec Alexandre, au point de s’engager dans des associations LGBT et d’aider des proches de personnes homosexuelles. « Les gens qui n’acceptent pas l’homosexualité passent par cinq phases, nous explique-t-elle : le choc de la révélation, la révolte ou la colère, la souffrance morale, l’acceptation, puis l’intégration. J’explique aux parents où ils en sont, ça les rassure. »

Depuis la parution de son livre, elle a reçu des dizaines de messages, d’homosexuels et de leurs proches, disant à quel point son témoignage les avait aidés. « Je n’avais pas pensé un seul instant que ça pouvait avoir une telle portée », reconnaît-elle. Sans qu’elle s’y attende, son livre est devenu un véritable outil pédagogique : « C’est très facile de se le procurer, personne n’en saura rien. Il est plus difficile de franchir les portes d’une association pour demander de l’aide ». Une aide qu’elle conseille malgré tout d’aller chercher.

Journaliste : Elsa Maudet

Photographe : Alexia Eychenne