Dossier

Evolution juridique et sociétale de l'homosexualité en France

 

En 2005, Louis-George Tin avait été l’instigateur de la première journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie. Presque dix ans après, cet historien et militant anti-discriminations pose un regard nuancé sur la situation actuelle des droits LGBTI. 

Un an et demi après la légalisation du mariage pour les personnes de même sexe, plusieurs associations LGBTI, dont SOS Homophobie, notent une recrudescence des actes homophobes en France. Dressez-vous le même bilan ?

Tout à fait. Si le combat pour l’égalité avance, les actes d’homophobie aussi. C’est paradoxal, mais les deux sont liés. C’est regrettable que l’on doive payer à ce prix l’avancée des droits. Je remarque cependant que les agressions homophobes sont plus médiatisées que par le passé. Auparavant, ces choses qui arrivaient tous les jours étaient réduites à des faits divers. Les consciences sont aujourd’hui plus aigües. On sait que le scandale se situe du côté des homophobes et pas des homosexuels. La honte a changé de camp

La Manif pour tous a organisé une nouvelle mobilisation, le 5 octobre 2014, à Paris et Bordeaux. Craignez-vous un retour en arrière ?

La Manif pour tous est vouée à l’échec. Tout en s’opposant à l’idée d’homosexualité, ses militants renforcent l’importance même d’un débat. Une discussion ne peut se dérouler démocratiquement dans le silence. Pendant des décennies – des siècles – les gays ont été condamnés au placard.

Observez-vous des similitudes avec d’autres périodes où l’homosexualité s’est retrouvée à la Une des journaux ? Par exemple, en 1999, lorsque la loi sur le Pacs a été votée.

Lors des débats de 2013, j’ai constaté que les organisateurs de la Manif pour tous se sont montrés moins homophobes qu’avant. Ils ont en effet “euphémisé“ leurs discours pour toucher plus de gens parce qu’ils ont compris que la société a évoluée. Dans le Dictionnaire de l’homophobie, ouvrage collectif que j’ai dirigé, on explique quand même que certains, en 1999, criaient : « les PD au bûcher ». Tandis que Noël Mamère a reçu des menaces de mort et, littéralement, de la merde en boîte au moment du mariage de Bègles, en juin 2004.

Comment réagissez-vous lorsque les opposants au mariage pour tous mettent en avant l’argument du bien de l’enfant ?

Ce n’est pas l’intérêt de l’enfant qu’ils défendent, mais celui d’un modèle culturel en déclin dans la société : la famille traditionnelle. Son monopole est remis en cause et c’est ce qui fait paniquer certains. C’est bien d’avoir un papa et une maman, mais les gens doivent avoir aussi le droit de vivre autrement. D’autant plus que ça fait bien longtemps que des enquêtes, à charge ou à décharge, montrent qu’un enfant évolue favorablement dans les familles homosexuelles. Et, si ces gens de la Manif pour tous sont si gênés, je ne comprends pas pourquoi ils ne courent pas non plus arracher les enfants des mères célibataires ?

Quels sont les futurs chantiers ?

Il y a bien-sûr la PMA (Procréation médicalement assistée, ndlr). Une promesse de campagne de Hollande finalement abandonnée. Je pense aussi à une mesure très simple, qui ne coûterait pas beaucoup d’argent : le changement d’identité. La vie des personnes en transition devient un calvaire, pour louer un appartement, prendre l’avion, et même, pour retirer un simple colis à la poste. Ces gens se retrouvent sans-papiers, alors qu’ils menaient jusqu’à présent une vie banale. Je pense aussi à la loi du 30 décembre 2004, qui condamne les propos homophobes mais n’a jamais été appliquée. Même le député Christian Vannest, alors encarté à l’UMP, n’a pas été condamné pour avoir estimé que « l’homosexualité est une menace pour la survie de l’humanité » ! Mais le grand chantier, c’est l’école.  La question de l’homosexualité reste un tabou scolaire parce qu’elle n’est presque pas abordée dans les manuels scolaires. Cette réalité est passé de hors-la-loi à hors des discours. On pourrait, par exemple, rappeler que le crime de sodomie a été aboli par la Révolution française, ou que des homosexuels ont été déportés lors de la seconde guerre mondiale. Tout comme, aborder dans les filières littéraires, l’apport de la mode garçonne aux arts du XXe siècle, ou l’importance d’une figure comme Colette.

En tant qu’instigateur de la journée mondiale contre l’homophobie, qui se déroule chaque année le 17 mai depuis 2005, pensez-vous que la France a également un rôle à jouer sur le plan mondial ?

En 2008, Rama Yade, alors secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme, avait lancé un appel aux Nations-Unies. Il existe encore plus de 70 pays qui pénalisent cette orientation sexuelle, dont une dizaine où c’est passible de la peine de mort. Malheureusement, depuis cette époque, aucun gouvernement ne s’est emparé de la question. Laurent Fabius, l’actuel ministre des Affaires étrangères, n’a d’ailleurs jamais évoqué publiquement ce sujet. Résultat, Edouard Balladur, malgré son grand âge, porte toujours cette cause et continue à faire des conférences sur la dépénalisation dans le monde. La France se prétend quand même le pays des droits de l’homme, s’engage actuellement contre les violences faites aux chrétiens. On reste quand même le premier pays à avoir dépénalisé l’homosexualité après la Révolution. On devrait agir en conséquence. 

 

Le passage de la loi Taubira ne va pas sans contre-indications. Plusieurs rapports soulignent une recrudescence d’actes homophobes depuis le début des débats sur le mariage pour tous.

Jordan n’oubliera jamais le 21 juin 2009. Il avait 14 ans et a décidé ce jour-là de faire son coming-out. « Je ne veux pas de PD dans ma famille, tu vas m’arranger ça tout de suite », lui rétorque sur le champs sa mère. Depuis cet aveu, l’homosexualité devient un sujet tabou et Jordan est mis au ban de sa famille. Peu de temps après sa majorité, ses parents emmènent ses frères et sœurs en vacances et lui précisent, avant de refermer la porte : « quand on revient, tu es parti. »

Quelques mois après la légalisation du mariage pour tous, ce jeune Champardennais s’est retrouvé à la rue pour avoir osé assumer son orientation sexuelle. Il est depuis hébergé par le Refuge, une association fondée en 2003 qui offre un logement aux homosexuels et transsexuels âgés expulsés de leurs familles, entre 16 et 25 ans.

Les changements observés sur le terrain depuis la légalisation du mariage pour tous ne vont pas forcément dans le sens de l’amélioration. Pire, Le Refuge traite ainsi un nombre exponentiel d’appels à l’aide. « On avait reçu 470 demandes d’hébergements en 2011, contre 930 en 2012 et 1.159 en 2013. Mais on ne dispose que de 70 places au niveau national », révèle Frédéric Gal, le directeur général du Refuge. Le rythme se révèle aussi soutenu sur la ligne d’écoute, qui a enregistré depuis le 1er janvier 2014, un taux record de 4.530 appels, contre 930 en 2012. 

Même son de cloche du côté de SOS Homophobie, qui a collecté près de 3.500 témoignages de victimes de violences homophobes l’an passé, soit une hausse de 80% par rapport à 2012. « Par violences, on entend tout ce qui va de l’insulte verbale à la violence physique » précise Yohann Roszéwitch, président de l’organisme, puis de reconnaître: « ça augmente aussi parce qu’on est de plus en plus connu. Mais depuis nos débuts, en 1994, on remarque un pic à chaque fois que l’homosexualité revient sur le devant de l’actualité. » Ce dernier apporte également quelques nuances à ce chiffre des 80% : « Il y a eu une libération de la parole homophobe depuis les débats. Mais l’homophobie ordinaire existait déjà avant, elle n’est pas liée au mariage pour tous. »

Les clichés liés à l’homosexualité ne sont pas nés avec la Manif pour tous : la peur du VIH, le mythe de la sexualité bestiale pour les hommes, celui de la frigidité pour les femmes. Le simple fait de marcher main dans la main dans la rue avec son conjoint entraîne bien souvent des commentaires désobligeants de la part des passants (quel couple lesbien n’a pas eu à entendre cette réplique : « on se fait un plan à trois ? »).

« Personne n’est épargné par l’homophobie », souligne Yohann Roszéwitch. Face à cette recrudescence des agressions, le président de SOS Homophobie ne peut qu’estimer « la victoire du mariage amère ». Pourtant, pas question de regretter le passé : « On n’est pas partisan du vivons heureux, vivons cachés. » Crever un abcès est toujours douloureux, mais sur le long terme « les mentalités évoluent et l’homosexualité rentre petit à petit dans les mœurs » observe le militant. Avant de s’interroger : « Aujourd’hui, qui veut remettre en cause le PACS ? »

 

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Journalistes : Laurène Daycard et Amélie Mougey