Dossier

L’homophobie sur Internet, est-ce vraiment inévitable ?

S’il y a un chiffre dont Internet peut avoir honte, c’est celui de l’homophobie. Tous les ans, les décomptes de l’association SOS Homophobie enregistrent une inquiétante poussée du phénomène.

En 2013, l’association a reçu 1.723 témoignages d’homophobie, soit une augmentation de 162% en un an. Internet représente désormais plus de la moitié des signalements, contre 16% en 2009. Entre temps, les réseaux sociaux ont explosé, notamment Twitter, réseau numéro 1 de la haine selon les chiffres de l’association, loin devant Facebook.

Les débats autour du Mariage pour tous au premier semestre 2013 ont enflammé les propos sur Internet, comme le constate David Corchia, président de Concileo, une entreprise qui modère les commentaires sur les sites de presse:

«Les volumes de commentaires postés sur les sites d’info ont été monstrueux pendant les débats sur le Mariage pour tous. Entre 800 et 1000 commentaires en moyenne, soit le triple de d’habitude. En-dessous d’articles aussi sensibles que le Mariage pour tous, on va rejeter entre 80% et 85% des commentaires. Il suffit qu'il y ait un propos négatif pour que les réactions s'enchaînent violemment.»

Les commentaires haineux que l'on trouve sur les sites d’information ne sont donc que la face émergée d’une montagne de commentaires qui n’ont pas passé le cap de la modération.

 

Pour David Corchia, si le chiffre des signalements de propos homophobes augmente, la haine contre les homosexuels a toujours été présente sur Internet:

«L'homophobie et l'antisémitisme ont toujours été les deux sujets les plus sensibles. Quand on parle du point Godwin [cette règle empirique qui veut que plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une référence à Hitler devient grande, NDLR], on omet de parler de l'homophobie. Or une conversation sur le web a tendance aussi à un moment ou un autre à dériver vers l'homophobie. "Sale pd" est l'insulte suprême dans les commentaires.»

Tout l’enjeu des associations est de parvenir à réduire la visibilité de ces propos, pour éviter de banaliser cette parole haineuse. Sur les sites de presse, les professionnels de la modération peuvent supprimer en temps réel les commentaires, mais sur les réseaux sociaux, la tâche est nettement plus ardue.

Les messages postés sur Twitter sont d’une violence extrême: «T’es une sale pédale, t’es une poubelle à sperme, je vais te finir», «Le mariage gay, c’est la porte ouverte à toutes sortes de saloperies type zoophilie, nécrophilie… Ouais j’ai un esprit fermé, pas comme vos culs», «Va pourrir en enfer, sale gouine».

 

Mais Twitter, comme Facebook, ne modère pas les messages postés sur sa plateforme. La loi autorise les réseaux sociaux à ne supprimer que les contenus qui leur sont signalés par les internautes et les associations. À l’inverse des sites de presse, ils n’ont aucune obligation à surveiller en temps réel ce qu’il se passe sur leur réseau.

Tout un chacun peut signaler des propos homophobes, racistes, antisémites, sexistes ou injurieux sur Twitter, Facebook et YouTube. Chaque réseau a mis en place sa procédure simple où il faut indiquer le contenu mis en cause et la raison du signalement:

-       Pour dénoncer un propos sur Twitter, cliquez ici

-       Pour dénoncer un propos sur Facebook, cliquez ici

-       Pour dénoncer un propos sur YouTube, cliquez ici

Cette notification oblige le réseau social à supprimer immédiatement le propos incriminé s’il s'avère qu’il contrevient effectivement aux lois encadrant la liberté d’expression. Problème: les modérateurs des différents réseaux sont surchargés de demandes. L’enjeu pour les associations est donc d'avoir une ligne directe avec Twitter ou Facebook, qui permettrait de faire des signalements plus rapides.

 

SOS Homophobie a mis en place une cellule dédiée à ce travail de fourmi, BICHES (Brigades Internet Contre l’Homophobie et le Sexisme). Yohann Roszewitch, président de l’association, détaille le dispositif:

«On nous envoie directement des signalements de propos sur Facebook, Twitter ou dans les commentaires de sites de presse. L’équipe de BICHES se charge ensuite de contacter les hébergeurs de contenu pour faire retirer le contenu. On a la chance d’avoir obtenu un statut de signaleur prioritaire. Tout le monde peut faire remonter des propos homophobes aux réseaux sociaux, mais nous, on permet d'accélérer la procédure»

La procédure mise en place avec Twitter est tellement efficace qu’elle avait soulevé un élan d’incompréhension sur le web français, quand le réseau de microblogging avait rendu public ses statistiques de retraits de tweets. La France y apparaissait comme le premier pays “censeur” du monde.

Au second semestre 2013, la France a totalisé 133 tweets supprimés, soit 70% du total mondial !

Par comparaison, la Russie n’en a fait supprimer que 9. C’est l’effet direct de l’accord entre SOS Homophobie et Twitter, ce dernier acceptant de supprimer au cas par cas des tweets homophobes. La procédure habituelle de Twitter consiste plutôt à bannir un compte qui faute de manière répétée.

 

Twitter peut aussi désindexer ses hashtags (mots-clés) les plus haineux, une manière de ne pas supprimer les tweets, mais d’en réduire fortement la visibilité. «Il y a toujours un effet d'entraînement avec les hashtags. Les agressions physiques ont souvent lieu en bande. Sur Internet, c'est un peu pareil», déplore Yohann Roszewitch.

Certains hashtags débutent comme un concours de provocations sordides entre ados sur Twitter et finissent en affaires nationales. C’est le cas d’ #UnGayMort, lancé un soir de février 2013 et qui a vite atteint les “trending topics”. Pour qu’un mot-clé atteigne cette visibilité, il faut qu’un certain nombre d’utilisateurs l’utilisent dans un court laps de temps. Le problème est que, souvent, les twittos qui dénoncent le hashtag en font ainsi, bien involontairement, la promotion.

(capture Huffington Post)

Pour rendre un hashtag invisible, la seule chose à faire est de le dénoncer avec les formulaires de Twitter et de ne surtout pas l’utiliser. Le succès du hashtag #UnGayMort avait suscité une réaction sur Twitter de celle qui était alors ministre du Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem:

«L'homophobie tue encore. Les appels à la haine ne doivent pas être relayés. Rencontre avec Twitter au ministère le 8 février.»

 

Paradoxalement, ce hashtag aura fait avancer la cause de la lutte contre l’homophobie, permettant une prise de conscience politique de la montée du problème sur les réseaux sociaux. Twitter, accusé dans le même temps de laxisme vis-à-vis de l’antisémitisme suite à l’affaire du hashtag #UnBonJuif, a finalement dû se plier à la loi française beaucoup plus instransigeante que la loi américaine sur ces sujets.

Si Twitter a fait de gros efforts sur la lutte contre l'homophobie, Facebook et YouTube restent encore en retrait:

«On essaie de faire la même chose avec ces deux réseaux, explique Yohann Roszewitch de SOS Homophobie. On leur propose une charte: ils s’engagent à retirer les propos homophobes qu'on leur signale et, de notre côté, nous leur proposons des modules de sensibilisation et de formation.»

Tout le problème est d’arriver à inculquer les bornes de la loi française à des entreprises américaines dont la modération est le plus souvent gérée en Irlande, bien loin des réalités hexagonales.

 

Si des tweets sont supprimés, des hashtags désindexés, des pages Facebook soustraites et des vidéos YouTube expurgées, des milliers et des milliers de contenus homophobes restent, qui flottent sur la Toile. Nettoyer l’Internet est une utopie, on ne peut qu’essayer de les mettre sous le tapis pour les rendre les moins visibles possibles.

La sensabilisation apparaît ainsi comme la meilleure des méthodes. À défaut de pouvoir supprimer tous les tweets homophobes, autant empêcher qu’ils puissent exister. SOS Homophobie sensibilise 18.000 collégiens et lycéens sur la question tous les ans, à l'invitation d’établissements scolaires de plus en plus demandeurs.

«Dans nos interventions, on rappelle la loi, explique Yohann Roszewitch. Souvent, les jeunes ne savent pas que traiter quelqu'un de "pédé" est un délit.»

Pour un simple tweet, la peine encourue est en effet de 6 mois d'emprisonnement et 22.500 € d'amende, des peines lourdes, créées à l’origine pour les délits de presse, et qu’Internet, en démocratisant la publication, a étendu à quiconque publie un contenu sur un réseau social. De telles sanctions sont évidemment disproportionnées et les associations n’ont jamais attaqué un internaute en justice pour un simple tweet.

Les associations demandent à ce que Twitter ne fasse pas que supprimer les contenus, mais s’occupe aussi de la sensibilisation, en faisant un rappel à la loi à l’auteur d’un tweet délictueux.

 

La mise en visibilité de l’homophobie sur Internet a aussi ses vertus. Si elle libère la parole des homophobes, elle permet aussi une prise de conscience de tous ceux qu’elle révolte. L’homophobie s’est trouvé un visage le jour où Wilfred, un Hollandais vivant à Paris, a publié sur sa page Facebook la photo de son visage tuméfie après une violente agression par 4 hommes dans la rue parce qu’il était homosexuel.

 

(capture 20minutes.fr)

Internet est toujours ambivalent: la viralité emporte aussi bien les hashtags homophobes que les vibrants témoignages contre l’homophobie. C’est ce qu’ont bien compris les associations qui cherchent à utiliser cette propriété du web pour faire passer plus efficacement leurs messages.

Amnesty International a lancé cette année le site Kisses against homophobia, où chaque internaute est invité à se prendre en photo de profil en train d’embrasser dans le vide. Les photos sont ensuite collées aléatoirement à une autre photo d’une personne du même sexe. Idée simple et géniale. Internet sait toujours se faire pardonner.

 

Journaliste : Vincent Glad