Sarah témoigne

Bonjour, je suis ici pour bien sûr partager cette expérience difficile, mais également parler des conséquence qu'elle a eu sur ma vie.
Petite je n'ai jamais eu beaucoup d'amis, et déjà à la primaire je subissais des violences physiques et mentales de la part d'autres filles : gifles, manipulations contre mon gré, insultes, humiliations etc. Je ne sais pas pourquoi j'ai réussi à dépasser ça sur le moment. C'était en CE1 et CE2, mais déjà, au fond de moi, je le savais. Je savais qu'à l'école on est censé prendre confiance en soi et se découvrir. Cependant cette confiance, ce sentiment d'avoir une bonne estime de soi, et de l'assurance, je ne les connais pas. Je ne sais pas ce que c'est car je ne l'ai jamais ressenti. Mes parents me changent d'école, je pars dans le privé. CM1, toujours pas d'amis, je refuse de changer pour être quelqu'un que je ne suis pas et m'intégrer à un groupe dans lequel je serai souvent la victime. Et pourtant ce groupe de filles, je l'ai intégré. Les gens ne s'en rendent pas compte, mais à cet âge tout est réglementé : seules les plus jolies peuvent faire la loi, il y a le système "2", celui où pendant 2 semaines il faut rester en binôme avec la personne avec qui on s'entend le plus dans le groupe. J'étais seule. Je passais mon temps à lire, à observer, à me soucier des gens de mon groupe quand ils n'allaient pas bien. Mais l'inverse n'était pas permis. Ou du moins, je pense que ces personnes n'en avaient rie à faire, car même si je faisais partie de ce groupe, je ne partageais pas d'affinité. Déjà très méfiante, j'avais peur d'aller vers les autres. Plusieurs fois ces filles m'ont demandé de partir, de dégager, que je n'avais pas ma place. Une fille de mon ancienne école avec qui j'étais très amie, ne me parlait plus. Encore cet effet de groupe dans lequel on a toujours peur d'être relégué au second plan, ou de perdre sa place dans la hiérarchie.
J'ai réussi à me faire une petite place en devenant la meilleure amie du copain de la "chef" du groupe. Je suis devenue également meilleure amie avec elle. Et on s'est toutes les deux éloignées du groupe. La différence était flagrante. Au fond de moi j'avais toujours cette intuition, cette certitude que ces personnes n'étaient pas mauvaises, juste influencées. Ma meilleure amie, était une dure à cuire (pour être très très polie), une calculatrice, en groupe, une personne capable des pires méchanceté. Et lorsqu'on s'est éloigné du groupe, elle est devenue la personne la plus sensible, et gentille que j'ai connu. Dotée d'une sensibilité infinie. Elle s'appelle Karine, on est restée ensemble, comme les deux doigts de la main jusqu'au lycée en première (mais j'y reviendrai en fin de témoignage).
Mes dernières années de primaires se sont déroulées sans encombre. Et lorsque je commençais à reprendre un peu de poil de la bête, j'entrai au collège. Je me suis rapprochée d'un garçon appelé Lucas. Drôle, mignon, à l'écoute, gentil. On est devenu amis, puis meilleurs amis, les autres voulaient qu'on soit en couple, même les adultes le pensaient. Mais non, il n'y avait que de l'amitié. De son côté je ne sais pas, car plusieurs fois il m'a demandé de sortir avec lui, puis quelques minutes après, voir le lendemain me dire qu'il rigolait. je ne lui ai jamais demandé.
En quatrième , nous n'étions plus dans la même classe. il a rejoint un autre groupe. Un groupe similaire à celui des filles en primaires : dans lequel il faut s'adapter pour correspondre au moule, celui qui est réglementé.
Du jour au lendemain ça a commencé, d'abord par des taquineries un peu lourdes, puis des insultes, pour finir en menaces puis au concret : violences physiques. Etrangement je retrouvais le même phénomène qu'avec Karine; en groupe ils étaient horribles, seuls, juste lui et moi, ou elle et moi, ils redevenaient eux mêmes, leurs vrais eux ressortaient.
Lucas , de part sa personnalité est devenu quelqu'un d'assez populaire dans son groupe, et il a réussi à monter ce groupe contre moi, puis d'autres personnes de la classe. Surtout des garçons. La journée commençait par des sms d'insultes, puis le car où on le jeu était de "faire souffrir Sarah", puis tout au long des cours, des récrées, puis à nouveau le car, jusqu'au soir où ils m'appelaient et m'insultaient, ou me menaçaient. Je m'étais tût jusque là en me disant "ça va changer". Un jour dans le car, j'en ai eu marre, j'ai riposté en disant que c'était dégueulasse de faire ça, que je ne comprenais pas ce que je leur avais fait pour qu'ils me fassent endurer ça du matin jusqu'au...Non pas au soir, ça continuait aussi le soir. Ils ont rit. J'ai insulté Lucas, car je ne savais plus quoi faire pour lui faire prendre conscience que c'était mal, pour lui dire à quel point il me faisait mal, pour capter son attention. Ils m'ont dit "tu refais ça, t'es morte". J'ai recommencé une fois. Le lendemain, Lucas est venu avec deux "amis" à lui, ils m'ont immobilisé dans la cour, et m'ont déshabillé devant tout le monde. J'ai crié à l'aide, j'ai pleuré, j'ai supplié, personne n'a bougé, ni les profs, ni les surveillants, ni les élèves. A partir de ce moment là, j'ai commencé à détester l'espèce humaine, à détester ce monde, et à me détester. Je n'avais plus confiance en ma propre espèce.
Je ne disais rien à mes parents, je voulais les protéger. Ma famille était la seule qui comptait pour moi, la seule qui ne me trahirai jamais, les seuls humains que j'aimais encore. Je me suis renfrognée, réfugiée dans une bulle. J'ai arrêté de parler. Les violences physiques et mentales continuaient, et je suppliais au fond de moi-même que cela cesse. Lorsqu'on a frappait je ne pleurais plus, lorsqu'on m'insultait, je me taisais. Plus rien n'avais d'importance. Je voulais disparaître aux yeux des autres.
Bizarrement je n'ai pas réussi à me détacher de Lucas, car quand il n'était pas en groupe, ou lorsque son groupe ne pouvait pas le voir, il venait me voir. Il redevenait mon Lucas, mon confident, le garçon drôle et gentil. Et naïvement je lui faisais confiance, lui assurant que je serai toujours là pour lui. Je ne voulais pas le perdre, car je savais qu'il n'était pas quelqu'un de monstrueux. Mais, Lucas a cette capacité, à savoir ce qui nous touche pour s'en servir contre nous et nous faire du mal avec, tout en nous culpabilisant. Mon surnom était "coincée du cul", car je ne parlais plus. Je devenais muette. La seule chose à laquelle je m'accrochais c'était les cours. Lorsque j'ai discuté "légèrement" du sujet à mon prof principal, car je ne voulais pas de représailles, et surtout je ne voulais pas faire souffrir Lucas (je suis le proverbe : ne fais pas autres ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse). Ce prof n'a rien fait. Un jour mes parents m'ont trouvé en pleurs, en dépression. Je leur ai raconté une petite partie, j'ai juste montré tous les messages de haine que je recevais chaque jour. Ils ont voulu appeler la gendarmeries, je les ai supplié de ne rien faire. Aujourd'hui ils s'en veulent de m'avoir écouté. Pourquoi ? Car je suis entrée au lycée, avec l'envie d'être parfaite, qu'on ai rien à me reprocher, ni les élèves, ni les profs, ni personne. Mon manque d'estime de soi, de confiance, mon dégoût des autres, ma peur du harcèlement a fait que je suis tombée malade : je suis tombée dans l'anorexie. J'ai découvert que cette maladie (qui en gros était et est ma carapace, mon moyen de me sentir plus en sécurité par le contrôle), était en grande partie liée à ce qu'il s'était passé en primaire et au collège, sans parler de la dépression qu'a fait ma mère juste avant ma rentrée en seconde.
Aujourd'hui je suis encore anorexie. Avec deux tentatives de suicide sur les deux dernières années : 4 hospitalisations, 2 pour l'anorexie, et 2 autres suite aux tentatives de suicide. La première, je ne l'ai pas fait, je n'ai fait aucun acte, je l'ai dit à mes parents, que si ça continuait, je sauterai de la fenêtre, car j'y pensais toute la journée, et que si on ne faisait rien je finirai par le faire, la seconde...J'y ai mis les gestes. Prise de médicaments, mes parents m'ont trouvé à temps. Nettoyage d'estomac, ingestion de charbon liquide, sédatifs...Puis hospitalisation. Suite à ces quatre hospitalisations, je suis encore dans l'anorexie, dans la dépression. J'ai vu le film "Marion pour toujours". Et aujourd'hui je me dis que si je n'avais pas été harcelée je serai bien plus heureuse.

Le temps pour se reconstruire prend plus longtemps qu'une vie entière, en fonction des personnes, mais aujourd'hui je ressombre. Je le sens, comme sont venues les deux fois, ça s’immisce, ça prend de l'ampleur. Et je me dis qu'il n'y a plus rien à faire, à part mettre fin à ses jours.
Malgré tout, je ne sais pas encore combien de temps je tiendrai, je n'arrive pas à en vouloir aux personnes qui m'ont fait du mal. Je n'y arrive pas, je m'en veux, c'est moi que je déteste, c'est moi que j'aimerai voir disparaître.